En marge de toute considération esthétique sur les sentiments d'intensité tragique provoqués par les peintures de Sérgio Bello, la poïétique, comme réflexion sur les conduites créatrices, s'intéresse justement à ceci qu'elle partent d'une œuvre ancienne. Et pas n'importe laquelle, l'œuvre d'un "estropié" du siècle d'or.
La poïétique tente de répondre aux questions que pose spécifiquement l'élaboration d'une œuvre, elle examine les conduites de tâtonnement, d'ébauche, de rectifications, de choix, qui ont lié, pendant un temps, l'artiste à son œuvre. Elle tente de remonter, par une récurrence difficile, jusqu'aux sources affectives - ce " modèle intérieur " dont parla André Breton - qui ont déclenché, dans l'inconscient de l'artiste, l'étrange conduite de créer.
Or, dans les cas les plus favorables, on observe une sorte de fusion originelle entre l'imaginaire de l'artiste et telle œuvre à laquelle il accroche sa propre création.
C'est le cas de Sérgio Bello. Il ne s'inspirerait pas des Prophètes de l'Aleijadinho si ne se trouvait déjà en lui, sur le point d'éclater, le cri de protestation violente que cet artiste ancien a su inscrire dans la pierre, et que le monde actuel ne laisse pas de provoquer encore. Il n'y a pas de création ex nihilo, et toute création se caractérise par ce qu'elle ouvre d'avenir.
O Aleijadinho, du fond du siècle d'or, ouvre la voie au XXème siècle de Sérgio Bello. Sur cette voie, Bello se sent chez lui, et il va librement. Toute œuvre, nourrie d'œuvres, est à la fois unique, présente comme une personne parmi nous, et suffisamment puissante pour compromettre son auteur devant la société.
Ce qui me captive, sur le plan poïétique, dans le travail créateur de Sérgio Bello, c'est qu'en se disant expressément tributaire d'une œuvre du passé, il manifeste, sur tous les plans, plastique, poïétique, esthétique, philosophique, une entière liberté.

René-PASSERON
Paris, 1988.